« Le cadeau est un vecteur de changement d’habitude » Interview de Séverin Prats, fondateur d’éthi’Kdo
En 2018, Séverin Prats commençait seul à réfléchir à l’idée d’une carte cadeau éco-responsable et solidaire. 6 ans plus tard, ils sont 22 dans l’équipe. La coopérative éthi’Kdo compte +1000 enseignes éthiques référencées, est devenue entreprise à mission et fait partie des Licoornes, un mouvement de coopératives qui a pour volonté de transformer radicalement l’économie. Dans cette interview, Séverin raconte la mission d’éthi’Kdo et revient sur ses débuts, ses défis et ses apprentissages.
1. La genèse d’éthi’Kdo, la première carte cadeau éco-solidaire
Je suis Séverin Prats, cofondateur d’éthi’Kdo. J’ai suivi des études à l’école de commerce Toulouse Business School avec une spécialité management et développement durable. A l’époque, j’avais déjà la conviction que les enjeux environnementaux allaient être au cœur des préoccupations de ma génération et avoir une influence sur la façon de créer du business.
Après une carrière professionnelle dans le rugby jusqu’à l’âge de 24 ans, un voyage en Australie et 10 années dans le recyclage, j‘ai eu un déclic.
Un jour, alors que je souhaitais offrir un cadeau à un proche, je me suis rendu compte que les cartes cadeaux proposaient presque exclusivement que des grandes enseignes (Amazon, Ikea, Zalando etc), et très peu, voir pas du tout, des enseignes de l’économie sociale et solidaire (ESS). C’était déjà un marché de +3 milliards d’euros à l’époque en France.
C’est là que l’idée de se fédérer, avec les acteurs de l’ESS, en une coopérative pour créer notre propre carte cadeau est née : c’est la carte éthi’Kdo. Utilisable en ligne, en boutique ou pour faire un don à une association car “consommer responsable c’est ne pas consommer quand on n’en a pas besoin.“ L’objectif était de ne pas pousser à la consommation et plutôt d’aider les projets qui en avaient besoin.
2. Le cadeau éco-responsable, un vecteur de changement
Aujourd’hui, la surconsommation est un problème. Les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sont clairs : il faut déconsommer et aller vers plus de sobriété. On a atteint des niveaux très élevés de surconsommation, en particulier sur certaines périodes comme le Black Friday qui joue sur des biais de rareté et d’urgence.
Par ailleurs, les budgets cadeaux des ménages diminuent d’année en année. Il faut donc offrir moins de cadeaux (l’essor du secret santa), mais mieux.
Pour moi le cadeau reste un très bon vecteur de changement : cela permet d’ancrer un changement d’habitude et en l’occurrence de découvrir des marques engagées et d’aller dans des commerces responsables en bas de chez soi. 84% des gens qui ont reçu une carte éthi’Kdo se rendent dans une boutique dans laquelle ils n’ont jamais consommé et
98% envisagent d’y retourner.
3. Une diversification de l’offre, pour un monde plus solidaire et durable
J’ai commencé à travailler sur le projet dès 2018. La coopérative a été créée en avril 2019 et la carte lancée en novembre 2019 à La Ruche Paris. « Ce premier Noël a été très marquant, on a fait 120 000€ de ventes dès le début ! C’était assez grisant. »
En 2021, on a racheté l’entreprise Kadoresto pour la transformer en la première solution de bons et coffrets cadeaux pour les restaurants éco-responsables. En 2023 on a créé éthiK’avantages, une plateforme avantage avec des réductions pour permettre à des CSE d’offrir du pouvoir d’achat éco-responsable et local à leurs salariés. « Ma conviction c’est que la consommation durable doit être choisie et non subie, on est là pour apporter l’option de consommer plus durablement. »
On vend aussi aux particuliers qui souhaitent offrir des cadeaux engagés pour Noël, pour les anniversaires, les pots de départ etc.
Actuellement on travaille sur un projet de chèque alimentation durable, en collaboration avec l’association Cop1 Solidarités Etudiantes et la Ville de paris pour distribuer des chèques pour acheter des aliments bio et locaux à des étudiants en situation de précarité alimentaire. On développe une application. Cela nous permet de sortir du cadeau et de créer de nouveaux systèmes toujours cohérents et durables.
En plus d’être une coopérative, on est aussi une fintech « On est au milieu de deux mondes ». Cela nous ouvre des opportunités et nous permet d’aller chercher de nouveaux projets et budgets.
4. Le choix de la coopérative
Au début du projet, j’étais seul donc c’est moi qui ai pris la décision de choisir la coopérative. Quand j’observe, beaucoup d’entreprises ont une belle mission au début mais à partir du moment où elles grandissent, la mission initiale à tendance à se perdre.
Dans une coopérative d’intérêt collectif, il existe plusieurs principes : la mission d’intérêt général, le principe qu’une personne est égale à une voix et la représentativité des parties prenantes. 42% du pouvoir en assemblée générale est détenu par les salariés, 38% par les associations et les enseignes partenaires, 10% par les particuliers sympathisant (tout le monde peut devenir sociétaire et participer à la gouvernance), et 10% par d’autres personnes morales partenaires (cabinets d’expertise comptable, financeurs institutionnels). Pour moi, il y a un problème systémique. Si on veut créer un système résilient, positif à long terme et qui prend en compte toutes les parties prenantes, le principe du multi sociétariat est une solution.
On a choisi la non lucrativité, on réinvestit 100% de ce qu’on gagne, ou alors c’est mis en réserves impartageables (ndlr : richesses collectives qui ne peuvent pas être distribuées aux sociétaires en cas de liquidation de la coopérative). Notre souhait était d’avoir une cohérence globale avec la forte mission du produit : favoriser une consommation plus respectueuse des êtres humains et de l’environnement. Le but c’était de rendre cela le plus sain possible et d’élever les standards au maximum de ce qu’on est capable de faire, dans tous les secteurs dont la gouvernance. “J’aime que les parties prenantes prennent le pouvoir sur le projet, que tout le monde puisse s’accaparer le projet si celui-ci lui parle”.
éthi’Kdo a été agréé ESUS, et est devenue en 2020 la première coopérative d’intérêt collectif à devenir entreprise à mission.
5. Le défi de la grille salariale : équité et transparence
Parmi les difficultés rencontrées, la structuration d’une grille salariale a été un vrai défi. “Le plus dur c’est toujours l’humain”. Au départ, ce n’était ni transparent ni équitable alors que notre objectif était de faire le mieux possible sur tous les aspects du projet. On était en dessous de nos attentes sur ce sujet. On a pris le sujet en main collectivement à l’aide d’un questionnaire interne et on a travaillé sur une grille salariale commune, transparente et équitable. Tout le calcul de la rémunération est expliquée dans l’article : Combien seriez-vous payé.e chez éthi’Kdo ? ce qui permet à chaque salarié de savoir quel est son salaire de base, la part liée à son autonomie, à sa contribution au collectif, à la rareté à son poste et à son ancienneté.
6. Un accompagnement par La Ruche dès les débuts
“La Ruche, c’est là que tout a démarré donc il y a un attachement particulier”.
En cherchant un espace de coworking à Paris, je tombe sur La Ruche Paris. Je rencontre l’équipe de La Ruche qui me parle des accompagnements et notamment du programme Paris Innovation Amorçage (PIA), l’ancêtre du Fonds Parisien pour l’Innovation (FPI).
L’accompagnement m’a permis de lancer le projet ! Le fait d’avoir quelqu’un qui pose les bonnes questions, qui trouve les mots justes, qui aide à trouver les premiers clients, à se constituer un réseau… Et l’obtention des 25 000€ grâce à la subvention PIA. Ce qui m’a marqué ? Le buzz, où chacun peut prendre la parole tous les premiers mercredis du mois mais aussi le soutien de La Ruche, notamment pendant la Covid-19.
7. Trois conseils pour entreprendre
Se faire accompagner
Trouver des gens qui vont t’aider, car on ne peut pas tout savoir. Avoir des gens qui posent les bonnes questions, qui t’ouvrent un réseau.
Parler de son projet
Souvent on n’ose pas trop au début, mais c’est important d’en parler autour de soi, d’avoir des retours de ses proches.
Suivre son intuition
Si on n’est pas à l’aise de faire quelque chose dans la vie en général, et en particulier dans l’entrepreneuriat, il ne faut pas le faire. Il faut savoir s’écouter, savoir faire des choix, refuser des ventes quand on n’est pas aligné. Garder son cap et le transmettre à ses équipes.
éthi’Kdo prévoit de continuer de se développer en France. « On n’ira pas à l’international car pour nous, il y a une forte dimension locale et culturelle à la consommation responsable. » Ses objectifs sont double : gagner des parts sur ses concurrents non responsables et continuer à se diversifier, à condition que cela reste dans leur mission initiale, qu’ils aient le savoir-faire, un modèle économique viable, et que personne ne soit déjà positionné sur le sujet.
Pour soutenir les commerces en ligne, cette année Ethi’Kdo lance Un clic vers un Noël éthique, avec +400 idées de cadeaux éco-responsables. Une façon de promouvoir toujours plus un Noël durable, où chaque cadeau soutient des marques et commerces engagés et locaux, qui bâtissent un avenir plus responsable.